Yann Moix: «Les Suisses sont des mous salauds»Dans un texte publié sur le Net, l'écrivain et cinéaste français Yann Moix attaque violemment la Confédération et ses habitants. Le réalisateur de «Podium» s'explique
Renaud Malik - le 01 février 2010, 22h57
Le Matin
«J'aime Polanski et je hais la Suisse»: c'est le titre du brûlot publié dimanche par l'écrivain et cinéaste français Yann Moix. Sur le site du magazine littéraire La règle du jeu, il se livre à un impitoyable réquisitoire contre la Suisse, cette «pute» qu'il estime coupable des malheurs de Roman Polanski (lire encadré). Un avant-goût du livre qu'il publiera dans le courant du mois, «La Meute» (Grasset). Interview d'un auteur habitué aux outrances.
Sous prétexte de plaider la cause de Polanski, vous déversez votre bile contre la Suisse. Mérite-t-elle vraiment tant de haine?Ce que j'écris dans ce texte ne représente qu'un millième de ce que je dis sur la Suisse dans mon livre. Oui, c'est vrai, je déteste la Suisse. C'est un pays qui me dégoûte depuis longtemps. Je ne l'ai jamais aimé. C'est Gestapoland, j'ai toujours l'impression que quelqu'un va m'arrêter, là-bas. Ce qui m'énerve par-dessus tout, c'est cette espèce de neutralité sous laquelle on se déguise pour ne jamais avoir à s'engager. Au final, on est plus salaud que les salauds.
Vous auriez pu vous contenter de dénoncer les autorités. Ce sont elles qui ont décidé du sort de Polanski. Or, vous semblez viser le peuple tout entier.J'en veux aux Suisses parce que je ne comprends pas qu'ils ne fassent pas grève. Ils devraient ressentir une honte absolue devant le boulot de kapo qu'a fait leur gouvernement en appâtant Polanski puis en l'arrêtant. Le fait de ne pas se scandaliser, c'est entériner cette décision des autorités. Mais c'est ça, être Suisse: ça signifie collaborer, se coucher devant le gouvernement ou devant les grandes puissances.
Vous voulez parler de l'attitude de la Suisse pendant la Seconde Guerre mondiale?Oui. La Suisse s'est aplatie face à l'Allemagne nazie en tamponnant la lettre «J» sur le passeport des Juifs. C'est le crime originel de ce pays.
Est-ce à dire que la France a toujours été irréprochable?Pas du tout! Mais la France, au moins, était officiellement une pourriture. La Suisse, elle était neutre. On avait d'un côté un pays pourri, dégueulasse, abject, et qui ne s'en cachait pas. Et de l'autre, un pays qui n'assumait pas qu'il était sous le joug nazi. C'est la soi-disant neutralité de la Suisse, qui consiste toujours à ouvrir grandes ses portes et ses cuisses au plus puissant.
Cela ne nous dit pas vraiment pourquoi vous haïssez à ce point ce pays.Il y en a ras le bol de la Suisse! Chaque fois qu'on en entend parler, c'est pour des histoires du même genre. S'il y a un pays inutile, c'est bien celui-là! C'est une dictature soft, nulle, qui ne génère rien, ne propose rien, ne fait qu'entériner les décisions des autres. La Suisse, c'est le néant.
Revenons-en à l'affaire Polanski. Vous ne vous dites pas que la Suisse a, simplement, cherché à appliquer le droit?Elle avait l'occasion d'appliquer le droit depuis des décennies: pourquoi ne l'a-t-elle pas fait? Là, c'est sorti comme ça, par hasard! A mon avis, avec cette affaire, on en revient à un truc qui est dans l'ADN de la Suisse. La Suisse, qui est fondamentalement antisémite et qui n'a pas sécrété un seul génie depuis Jean-Jacques Rousseau, a la haine des Juifs et des artistes. La Suisse n'est pas un pays neutre, c'est un pays nul. Elle vit calfeutrée dans sa lausannéité.
C'est quoi, la «lausannéité»?C'est la mollesse dégueulasse. Voilà ce que sont les Suisses: des mous salauds.
Vous pensez vraiment rendre service à Polanski, en disant tout ça?Qu'est-ce qui pourrait lui arriver de pire, de toute façon? A part être cloîtré dans 20 mètres carrés au lieu de 200...
Vous êtes un des rares auteurs à n'avoir jamais cessé de soutenir Roman Polanski. Vous le connaissez personnellement?Non.
Alors, pourquoi ce soutien indéfectible?On vit, aujourd'hui, dans un monde où l'on fait l'apologie de la nullité. La meute a la haine des génies, des vrais, dont Polanski fait partie. Il y a aussi une chose dans ce procès qui m'interpelle, c'est qu'il est la répétition du «Procès» de Kafka: on vient accuser un homme d'une chose qui appartient au passé. Un processus vient se mettre en branle, et tout devient juridique autour de lui. Polanski a commis un acte abject, c'est un fait. Mais ce qui est dégueulasse, c'est d'avoir collaboré de manière sournoise en enfermant cet homme de 75 ans, qui a déjà vécu l'équivalent de 20 traumatismes dans sa vie. C'est cela que je ne pardonne pas à la Suisse.
Un déversement de bile rédigé dans l'urgenceCourt, rédigé dans l'urgence dimanche après-midi, le texte publié sur le site de la revue La Règle du Jeu se voulait une réaction à chaud à la nouvelle tombée le jour même: selon Eveline Widmer-Schlumpf, l'assignation à résidence du réalisateur franco-polonais pourrait encore se prolonger pendant un an.
«Un an de plus dans sa prison suisse», commente Yann Moix, en ajoutant: «Peu importe que la prison soit une cellule ou un chalet, un terrier ou même un immeuble tout entier. On est en prison quand on ne peut pas être ailleurs. Roman Polanski restera emprisonné en Suisse. C'est la Suisse le bourreau. C'est la Suisse la sentence. C'est la Suisse la trahison. C'est la Suisse la haine et la revanche et la vengeance.»
Façade trompeuseLe ton est donné. Et le plaidoyer en faveur de Polanski se mue rapidement en une violente attaque contre la Suisse. «Ce n'est pas un pays, assène Yann Moix. La Suisse n'est rien. La Suisse n'existe qu'en détruisant. En neutralisant. Ce n'est pas un pays neutre, non: c'est un pays qui neutralise.» La neutralité? Une façade trompeuse, qui dissimulerait des instincts de prédateur: «Ce très joli pays qui, pendant la guerre, voyant qu'un peu trop de Juifs venaient étrangement faire du tourisme en ses montagnes, a demandé à ce que fût apposé sur les passeports le «J» de Juden.» Soumission à l'Allemagne nazie hier, soumission aux Etats-Unis aujourd'hui à travers l'affaire Polanski: pour le réalisateur de «Podium», le travers de la Suisse est sa faculté à se coucher devant les puissants: «C'est un pays qui se vend sans cesse au plus offrant. Qui courbe incessamment l'échine devant le plus fort. (...) La Suisse ne se donne même pas, comme le feraient des salopes ordinaires: la Suisse se prête au plus fort. Elle prête sa soumission. C'est une pute.»
Manifestations à LausanneHonte à la Suisse, donc. A son peuple comme à ses dirigeants. «Nous voudrions que la population ait honte, définitivement honte, pour ce qu'elle fait endurer à Polanski. Que des grèves se déclarent à Genève, à Lausanne, à Gstaad, ou des manifestations. Que les gens sortent dans la rue. Crient. Hurlent. Contre leur gouvernement.» Pour Yann Moix, ce n'est qu'une fois Roman Polanski libéré que la Suisse pourra enfin acquérir une «dignité»: «Suisse, sois une nation, sois un pays, sois quelqu'un. Sois un homme, Suisse.» L'auteur termine par ces mots: «Je te hais, Suisse. Je te demande de m'arrêter, moi aussi, le jour où je viendrai te voir. Pour cracher sur ton sol immonde.»
Des personnalités réagissent«C'est un texte polémique et il faut le prendre comme tel. La France n'a aucune leçon à donner à la Suisse, ni sur son comportement ni sur la Seconde Guerre mondiale. Son image de la Suisse est réductrice. C'est comme si nous réduisions la France à Sarkozy.»
Géraldine SavaryConseillère aux Etats (PS/VD)
«Quand je lis ce texte, je dis «beurk». Cet écrit est le produit immonde d'un personnage aigri. Que des clichés débiles et éculés sur un pays extraordinaire. Il devrait balayer devant sa porte. Et puis le génie d'un homme ne le protège pas de la loi lorsque celui-ci est supposé avoir violé, saoulé et drogué une fille de 14 ans.»
Christophe DarbellayPrésident du PDC suisse
«Ce n'est pas la Suisse qui recherche activement le cinéaste, mais les Etats-Unis. Nous ne faisons que respecter la loi. Qu'on s'en émeuve en France ne m'étonne pas. A l'époque de l'assassinat de l'opposant iranien Kazem Radjavi à Coppet, la France avait refusé d'extrader en Suisse deux des suspects et les avait laissés rentrer en Iran.»
Yvan PerrinVice-président de l'UDC suisse
«D'abord, il se trompe: le fait que Roman Polanski reste en Suisse est plutôt conforme à sa volonté, puisqu'il ne souhaite pas être extradé. Mais à quoi bon répondre à ce fatras d'accusations gratuites? J'ai coutume de dire que ce qui est excessif devient insignifiant.»
Martine Brunschwig GrafConseillère nationale (PLR/GE)
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