Living Things
“Ahead Of The Lions” Jive/Sony BMG
Sortis de nulle part, les gosses turbulents de Living Things ont été à deux doigts de retourner s’agiter ad vitam æternam dans leur banlieue plombée de St Louis (Missouri). Sans avoir eu l’opportunité d’ensorceler le chaland avec cette première livraison résolument pétrifiante. Ni de foudroyer le pékin avec ce concentré impétueux de frustrations juvéniles et de fureur politico-sociale. Prévue en mai 2004 sous le titre “Black Skies In Broad Daylight”, la sortie de cet album corrosif sera annulée in extremis lorsque DreamWorks, le label des Living Things, est racheté par Universal. Rejeté par la quasi-totalité des maisons de disques US en raison d’un discours anti-gouvernemental trop véhément, le quatuor trouve refuge chez Jive où le LP change de titre, de pochette et d’ordonnancement des morceaux. En revanche, le contenu est intact, tel qu’il a été conçu dans la fièvre et l’urgence, avec le concours de Steve Albini dans son antre de l’Electrical Audio de Chicago. L’ex-producteur de Nirvana et de PJ Harvey est un inconditionnel des Living Things avec qui il a collaboré en 2003 sur un EP (“Turn In Your Friends And Neighbors”) avant de domestiquer les assauts soniques de “Ahead Of The Lions”. Fils d’un gay et d’une activiste anarcho-féministe, les frères Berlin — Lillian (chant, guitare et agitprop), Eve (basse) et Bosh (batterie) — ont choisi avec leur camarade Cory Becker (guitare) de véhiculer un discours engagé à la Dead Kennedys ou à la Clash avec l’énergie des Pistols, le charisme des Ramones et l’élan de T Rex. Sans négliger l’héritage des Stooges qui transpire de tous les pores de “Bones Below” et “I Owe”, les deux météorites qui inaugurent ce brûlot et sur lesquels le phrasé suave et l’intonation électrique de l’envoûtant Lillian Berlin sont plus qu’un hommage à l’Iguane d’Ann Arbor. Violent réquisitoire contre le bourbier irakien, “Bones Below” touche juste avec un refrain (“Where do all the deadboys go go go, no solutions just bombs below”) qui doit combler d’aise Joey Ramone. Avec “Bom Bom Bom”, les Living Things poussent tout le monde sur la piste de danse pour se déhancher bras en l’air sur l’imparable groove orchestré par Eve et Bosh Berlin tandis que Lillian et Cory Becker distillent de petits riffs vicieux à souhait. Sans vergogne, les gamins lorgnent ensuite du côté de Jesus And The Mary Chain avec le superbement triste “New Year” avant de revenir à des affaires plus chaloupées avec “God Made Hate” et ses accents férocement glitter. Les attaques contre la religion et les dévots et Tartuffe tels que Bush ne faiblissent pas, des accords grandiloquents de “End Gospel” aux fantastiques envolées de “No New Jesus”, condensé de rage combinant avec aisance grunge et punk. Fin tacticien, Lillian Berlin attaque mid-tempo “March In Daylight” avant de faire exploser ce manifeste avec une énergie qui n’aurait pas déplu à John Sinclair, le mentor de MC5. Beat dansant et saxo à la Stooges hantent “Monsters Of A Man” qui se clôt sur un rythme échevelé, préfigurant le visage de rejetons de Nirvana qu’adoptent les agitateurs du Missouri sur un “On All Fours” proprement décapant qui constitue au même titre que “Bombs Below”, “I Owe”, “Bom Bom Bom” ou “March In Daylight”, un des must de “Ahead Of The Lions”. Avant de conclure presque en douceur, avec “I Wish The Best For You”, un album essentiel dont le grand capital aurait voulu nous priver.